L’islam compte aujourd’hui deux courants majoritaires, que sont le Sunnisme et le Chiisme. Il faut rappeler qu’à la différence d’autres religions telle que le christianisme, les divergences qu’il y a entre le sunnisme et le chiisme ne sont pas d’ordre théologique comme pourrait le penser dans un premier temps l’observateur extérieur mais principalement d’ordre politique et temporel. Pour comprendre ces dernières il faut reprendre l’histoire de l’islam depuis ses origines et plus spécialement une certaine période qui a vue disparaître le prophète Muhammad (PBSL) et se poser le problème de sa succession.
La mort du prophète : un problème de succession ?
A la mort de Muhammad (PBSL), la question de trouver un successeur digne de reprendre le commandement du jeune empire musulman se posa immédiatement. Naquirent alors les premières dissensions au sein de la communauté musulmane. Certains voulant que le successeur de Muhammad (PBSL) soit faite par le sang ; qu’elle appartienne à sa famille proche (ahl el-bayt), dont les membres sont guidés par nature (baraket) du fait de la sainteté du sang qui coule dans leurs veines. Ainsi, ceux que la tradition nommera : firkatû ou shi’atû Aliy (le parti d’Ali), premier groupuscule chiite, se tournera logiquement vers Ali le cousin et gendre du prophète pour qu’il soit le calife naturel des musulmans.
Un autre groupe majoritaire se désignant « sunnite » (suivant la conduite du prophète), soutinrent quant à eux dès le départ une solution basée non sur un califat héréditaire mais plutôt sur une succession « par concertation » (chourah). L’aura populaire, la sagesse et les qualités « spirituelles » constitueront ainsi les principaux critères de désignation du futur calife. Selon les enseignements du Coran même, ces critères ne peuvent se transmettre par le sang, mais dépendent beaucoup du caractère propre de la personne, de son degré de spiritualité et également de son parcours personnel. C’est finalement le postulat du sunnisme sur les principes de gouvernance qui l’emporta sur les thèses du « chiisme primaire » et qui finit par désigner Abu-Bakr, compagnon et ami intime du prophète comme le premier calife de l’islam.
Cette nomination se fera au détriment d’Ali, qui ne deviendra calife à son tour qu’après l’assassinat d’Uthman, le troisième calife bien-guidé de l’Islam. Malheureusement, Ali rencontrera de nombreux problèmes au cours de son califat, dûs principalement à l’attitude rebelle de l’un de ses gouverneurs, Muawya, responsable de la province de Syrie, ainsi qu’à son refus de prioriser la répression du meurtre de son prédécesseur au détriment de la sécurisation de son royaume.
La gouvernance en islam
Pour comprendre la difficulté qui se posa à la mort du prophète quant à sa succession, il est nécessaire de dire quelques mots sur les principes de la gouvernance en islam. Cette dernière ne sépare à aucun moment les affaires temporelles de celles qui sont du domaine de la spiritualité car la religion musulmane à la particularité d’englober tous les compartiments de l’existence. A L’image de Muhammad (PBSL) qui fut à la fois messager de Dieu et chef politique de l’Etat musulman, le calife qui devra lui succéder doit donc également posséder l’ autorité spirituelle nécessaire qui légitimera son pouvoir sur les hommes et par laquelle il assurera la bonne conduite des affaires politiques de la communauté sans s’écarter des principes de l’islam. C’est sur ces bases que furent élus les quatre premiers califes de l’islam que la tradition retiendra par la suite comme ayant été « sages » et « bien guidés » (el khoulafa’ a-rashidûn)
Les quatre écoles juridiques du sunnisme
Le sunnisme représente 90% des musulmans. Les principales écoles de droit islamique (fiqh) qui le structure, et dont le nom provient de son fondateur, sont d’accord sur la majorité du dogme de l’islam, et répartissent l’action humaine selon cinq rang, afin d’aider à distinguer les actes selon leur rapport vis-à-vis de la religion, à savoir : l’autorisé, le recommandé, l’obligatoire, le détestable et l’interdit. Il convient d’ajouter que la plupart des écoles qui vont être énumérées ci-dessous ne différent en réalité les unes par rapport au autres que par d’infimes détails dans la pratique du rite.
L’école hanafite : Nommée d’après les pensées et vues d’Abu Hanifa an-Nu‘man ibn Tha-bit (699-767), issue de la génération des musulmans nés après la mort du prophète Muhammad (PBSL). Cette école de pensée, la plus vieille du sunnisme, est considérée comme la moins rigoriste de toutes les écoles de pensées sunnites, du fait qu’elle laisse davantage la place à l’interprétation raisonnée qu’à une application littéraire et stricte du texte coranique.
L’école malékite : Deuxième plus grande école de pensée sunnite, dont la pensée est construite principalement à partir du travail de l’imam Malik (715-795), et plus précisément de son recueil d’hadiths, le Mu'watta, et du Mudawana, qui correspond au recueil des notes d’Ibn Qasim, ancien disciple de Malik. Une autre spécificité de l’école malékite est de se réfèrer également aux lois des quatre califes bien-guidés (principalement Umar Ibn Al Kattab), le « ijma » (consensus adopté au sein de la Oumma), le « qiyas » (jugement logique dérivant d’une analogie vis-à-vis d’un verset coranique ou d’un hadith) et le « urf » (droit local, permettant d’adapter un texte de loi au lieu et au contexte) en plus des sources principales que sont le Coran et les hadiths du prophètes.
L’école Chaféite : Nommée d’après le travail de l’imam al-Shafi’? (767-820), spécialisé notamment dans le fiqh. Cette école, pour juger des affaires terrestres, fait appel à quatre sources qui sont en plus du Coran et de la sunna prophétique, le « ijma » et le « qiyas ». Spécificité de cette école, les jugements doivent être rendus au moyen des quatre sources cités ci-dessus, le libre jugement étant exclu.
L’école Hanbalite : Ecole créée par les étudiants de l’imam Ahmad bin Hanbal (780-855), elle est également considérée comme l’une des plus conservatrices des quatre. Elle ne reconnaît pas non plus le « ijma », et se base sur une application stricte du texte coranique et de la sunna prophétique, et si une réponse à une question de religion n’est pas formulable, elle fait appel en dernier recours à l’opinion des compagnons du prophète Muhammad (PBSL).
Les spécificités du Chiisme
L’accession au pouvoir du quatrième calife de l’islam Ali Ibn abi talib en 656, s’accomplie dans un contexte difficile (1) du fait de l’assassinat de son prédécesseur Uthman Ibn Affan. Grand guerrier de l’armée musulmane sous la direction du prophète et homme d’une grande piété, Ali se trouva rapidement mis en difficulté sur le terrain politique. Son hésitation à rendre justice dans l’assassinat de son prédécesseur et à prendre des décisions concrètes coutera à la communauté musulmane sa première guerre civile qui opposera deux groupes : les partisans d’Ali (shiatou Ali) contre les partisans d’Aicha um el mouminin (qui regrettera amèrement plus tard son erreur de s’être mêlée aux affaires politiques de l’Etat (2)) et ceux de l’ambitieux Muawiya gouverneur de Damas et futur fondateur de la dynastie des Omeyyades. Après deux guerres qui coutèrent la vie à des milliers de musulmans (3) et une fitna sans précédent, Ali du se résigner à accepter un arbitrage sur son califat, qu’il finit d’ailleurs par perdre au profit de son adversaire Muawiya. Ce dernier fédérera plus tard autour de sa dynastie la majeure partie des musulmans qui s’appelleront désormais « sunnites » (suivant la conduite du prophète, sunnat an-nabi).
Dès lors, les partisans d’Ali se scindent en deux groupes :
- Les mécontents qui cessent définitivement de le soutenir et qui se radicalisent dans la croyance religieuse pour former leur propre secte : les khawarijites (ceux qui sont sortis) et qui représentent de nos jour à peine 1% des musulmans (4).
- Ces fidèles supporters qui se regroupent quant à eux sous l’appellation de « shi’at Ali » (le parti d’Ali) et duquel sortiront tous les courants du shiisme classique (actuellement 9% des musulmans), surtout après l’assassinat sauvage d’Ali dans la mosquée de Koufa en Irak en 661 par un khawarijite. Meurtre auquel n’échapperont pas également ses fils Hassan (assassiné en 680) et Houssain qui fut massacré avec son armée en 680 près de Kerbala qui deviendra ainsi comme Nejef, ville sainte du shiisme. Commence alors toute une tradition du deuil et du martyr qui inscrit le shiisme éternellement dans la contestation et la souffrance (5). Se référer aussi à notre dossier sur Les mouvements et sectes issues de l’islam >>
Sur le plan de la gouvernance l’une des principales caractéristiques du mouvement Chiite est la substitution de la notion de califat par celle d’’imamat, qui est la croyance en des imams reconnus comme guides spirituels infaillibles, et dont Ali serait le premier représentant sur Terre et ses fils Hassan et Hussein ses successeurs. L’Imam a pour mission de continuer sur Terre la mission sacrée du prophète Muhammad (PBSL) (6).
Pour les sunnites, le mépris par les chiites des trois premiers califes de l’islam, le culte exagéré des imams (7), ainsi que les innombrables divisions et ajouts du chiisme sont une dénaturation du message originel de l’Islam qui se veut être le « Monothéisme par excellence » et peuvent représenter un véritable danger de corruption de sa doctrine si l’on prend par exemple en compte l’histoire et le destin du catholicisme (8) et dans la mesure ou le shiisme instaure une « spiritualité d’intercession » par le culte des martyres et des imams, alors que le prophète (PBSL) lui-même de son vivant a toujours condamner ce genre de pratique.
Quoi qu’il en soit, et malgré toutes ces divergences, il serait malvenu d’« exclure » totalement le « chiisme classique » de la sphère de l’islam, car malgré les différences culturelles et politiques vis-à-vis du sunnisme, le shiisme ne pose encore aucune différence théologique fondamentale, ni rituelle majeure comme c’est le cas normalement dans d’autres religions (9)
(1) Voir notre article sur Ali ibn abi talib >>
(2) Voir notre article sur Aicha bint abu-Bakr >>
(3) Voir notre article sur la bataille du chameau et celle de Siffin >>
(4) Voir notre dossier sur Les sectes issues de l’islam >>
(5) Ce virage amorcé du Chiisme a également abouti à l’incorporation de nouveaux rites tous spécifiques, comme l’auto-flagellation, pratiquée le 10 du mois de Mouharram, afin de commémorer le martyr d’Hussein, tué puis décapité lors de la bataille de Kerbala par les troupes de Yazid Ier, calife Omeyyade (et donc d’obédience Sunnite).
(6) Si du Catholicisme sorti le Protestantisme et toutes les autres sectes qui fleurirent en Occident à partir du 16éme siècle, il ne faudrait pas perdre de vue qu’un nombre très important de sectes sont sorties du Chiisme et non du Sunnisme, comme les Alouites, les Khojas, ou les Nizarites ou même encore des religions toutes à part comme le Bahaïsme ou la religion Alaouite. Voir également notre dossier sur Les sectes issues de l’islam >>
(7) Il faut rappeler ici que la notion de « imam » n’a pas la même signification suivant si l’on se place dans le sunnisme ou dans le Chiisme ; simple conducteur de la prière dans la première obédience, il est un véritable guide infaillible par ses actes dans la seconde.
(8) Ce culte des imams, s’apparente également le plus souvent à un culte des martyrs, la plupart des descendants d’Ali n’ayant jamais connu de mort « naturelle ». A ce jour, une fête religieuse est d’ailleurs toujours dédiée à ce culte des descendants d’Ali disparus, comme le mois de Mouharram, considéré par certains extrémistes chiites comme un mois « plus sacré encore que les mois de Rajab, Dhou al qi`da et Dhou al-hijja, pourtant fondamentaux dans le calendrier musulman, car liés à des événements très précis de la Révélation Coranique, et donc sans possibilité de comparaison.
(9) Voir également notre chronique « Croyant mais non pratiquant » >>
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