De nos jours, le nouveau credo de l’intellectuel type dans ça façon d’envisager le bien ou toute bonne cause, consiste en l’appel constant à l’humanisme sous toutes ses formes pour justifier ses actions positives. Remplaçant progressivement la religion, l’humanisme a permis philosophiquement, sous réserve de « rationalité », de mettre en place tout un système de pensée libérale et exclusivement tournée vers l’être humain, le tout en se dégageant doucement mais sûrement des traditions du passé et des chaînes du clergé (alors caste dominante) et surtout de la religion, considérée alors comme la principale cause de guerre et de malheur en Occident.
D’où le courant de pensée humaniste puise t-il ses origines ? Comment s’est-il développé en Occident ? Ou encore, s’agit-il réellement d’une invention du siècle des Lumières ou existait-il déjà sous une autre forme chez les anciennes civilisations notamment celles issues des religions monothéistes ?
Aux origines de l’humanisme
L’humanisme se développe pendant l’époque de la Renaissance en Europe du 14ième au 16ème siècle de l’ère chrétienne, suite aux travaux du philosophe Pétrarque (1304 – 1374) puis se renforce considérablement comme courant de pensée en vogue durant les deux siècles à venir sous l’impulsion et l’autorité des philosophes des Lumières tels que Montesquieu, Voltaire ou Jean-Jacques Rousseau. Ce mouvement intellectuel se base sur des systèmes de pensées philosophiques qui l’ont précédé tels que le rationalisme ou le scientisme, pour affirmer l’existence d’une « éthique universelle » commune à tous les hommes, leur permettant de séparer de leur propre chef sans l’aide d’une quelconque doctrine réveillée ou morale religieuse le bien du mal.
L’un des principaux concepts de l’humanisme philosophique, en dehors de son affirmation de principes tels que la liberté, la justice, la tolérance…est la mise en avant de la primauté de l'humain et de la raison sur la Vérité ou la Loi, dont les notions sont devenues inintelligibles à l’homme moderne, en plus d’être souvent la source de multiples divergences entre les peuples. Ainsi selon la plupart des organisations humanistes du XIIIème siècle, seule la pensée rationnelle et scientifique permet réellement à l’homme d’exprimer son libre-arbitre.
Ce besoin ambitieux d’affirmer et mettre en avant la raison humaine s’est malheureusement accompagné d’une lutte intestine contre la pensée religieuse, sous couvert de dénoncer la « croyance aveugle », qui rappelons-le fut souvent exigée par une Eglise catholique dont le dogme été devenu désormais obscure et décadent et l’influence de plus en plus amoindrie. Les arguments des humanistes se ramènent ainsi souvent à une défense de la rationalité et un rejet profond de tout « mystère ».
Cette tendance à vouloir minimiser la religion et réduire son influence par l’argumentaire philosophique aura donc pour principal effet de balayer et d’exclure tous les modes de pensée dont la démarche et la finalité sont en dehors de la raison (1). Ce qui en d’autres termes fût l’acte de naissance de la société sans Dieu, qui s’efforcera à partir de là, à intégrer dans ses axes de développement, une référence considérable à l’« humain », au détriment du « Divin » (2).
L’humanisme propose ainsi, à défaut d’une réelle assise spirituelle (devenue désormais « accessoire »), la mise en avant de l’homme, au point d’en faire le nouveau « centre de l’univers » (3). Cette constatation qui peut être vue comme une sorte de « compromis », si elle parait à première vue bénéfique et salutaire pour l’homme, puisqu’elle lui confère une importance de tout premier ordre (4), a eut aussi comme point d’orgue de lui conférer une place « exclusive » et « unique » au détriment de l’univers (5). Ce qui fut donc à l’origine un pari ingénieux du « moindre mal », puisqu’il a contribué d’une certaine façon à détourner l’attention sur soi et à pacifier l’Europe des guerres fratricides qui la déchirait depuis le moyen âge, a viré en fin de compte à la pire des aliénations qu’ait connu le genre humain : destruction de l’environnement, repoussement permanent des frontières de la décence, politiques ultra libérales obéissant uniquement à des logiques marchandes…au point qu’il est légitime de nos jours, de ne plus parler d’« humanisation » mais plutôt d’« animalisation » des rapports entre les hommes.
L’humanisme et l’Islam
Si l’humanisme dans la définition qui en est fait plus haut s’oppose clairement à la religion, il existe bel est bien dans les « religions révélées », et plus particulièrement en Islam, une vraie vision humaniste fondée sur les notions de compassion et de fraternité entre les hommes, qui permet de revoir et corriger sous un prisme nouveau et à la lumière de la foi, la définition moderne donnée à l’humanisme. Ainsi dans un système religieux, l’humanisme n’est guère dissocié de la Foi en Dieu, puisque l’action humaniste dans un cadre religieux est un principe qui fonde même la raison d’être de la religion. Ce qui contribuera quoi qu’il arrive à toujours à rapprocher l’« humain » du « Divin », là où la définition classique précédente cherchait à les éloigner.
L’humanisme en Islam, c’est donc avant tout une réflexion sur les rapports de l’être humain vis-à-vis de lui-même, au regard de la tradition islamique. De ce point de vue, quel est la conception de l’homme en tant que tel et les rapports qu’il doit entretenir envers la personne humaine ? Quelle est la place donnée à la raison dans ce système de pensée ?
Dans la religion musulmane, l’élément le plus important qui définit un croyant est sa foi. Cette même foi qui est l’unique facteur discriminant entre les hommes aux yeux de Dieu (6), et qui se traduit en la reconnaissance d’un Dieu unique et transcendant, créateur du ciel et de la Terre, auquel le musulman doit soumission et obéissance : « 2. Louange à Allah, Seigneur de l'univers. 5. C'est Toi [Seul] que nous adorons, et c'est Toi [Seul] dont nous implorons secours. » (Sourate 1 - Al Fatiha).
Cette croyance en une divinité omnisciente se traduit donc pour le croyant en une volonté naturelle de tendre vers l’uniformité et l’universalisme, et de se rapprocher à travers Dieu de ses semblables. Cette recherche spirituelle et intérieure est pour l’Islam constitutive de la personne humaine, et se retrouve expliquait dans un autre passage du texte coranique : « 172. Et quand ton Seigneur tira une descendance des reins des fils d'Adam et les fit témoigner sur eux-mêmes : “Ne suis-Je pas votre Seigneur ? ” Ils répondirent : “Mais si, nous en témoignons...” - afin que vous ne disiez point, au Jour de la Résurrection : “Vraiment, nous n'y avons pas fait attention”, » (Sourate 7 - Al Araf). Ce qui en d’autres termes revient à dire que la croyance en Dieu est inscrit en chacun de nous, et est une partie indissociable de notre conscience
La foi en Dieu est donc primordiale pour définir clairement l’homme en Islam. Toutefois, cette croyance est tout sauf aveugle, la raison ayant également une place très importante, et même complémentaire.
Contrairement à l’image véhiculée par l’Occident, foi et raison ne sont pas forcement condamné à être dissociable. C’est d’ailleurs le cas en Islam, où la raison a comme fonction première de venir confirmer la foi du croyant. Et de même, contrairement à la pensée occidentale qui veut que la raison explique tout et soit la seule base valide de réflexion, l’islam au contraire affirme que la foi doit la précéder comme une sorte d’« intuition véridique », qui ensuite sera vérifiée par le raisonnement discursif de l’homme. Aussi, une foi sans raison active est considérée comme vaine et aveugle :
« 53. Nous leur montrerons Nos signes dans l'univers et en eux-mêmes, jusqu'à ce qu'il leur devienne évident que c'est cela (le Coran), la Vérité. Ne suffit-il pas que ton Seigneur soit témoin de toute-chose ? » (Sourate 41 - Fussilat).
C’est à travers sa foi en Dieu, que le musulman est à même de respecter au mieux la personne humaine, et sa propre personne, tout en se soumettant à la volonté de son Créateur, qui par sa miséricorde infinie, lui a enseigné la voie à suivre pour atteindre le salut de la meilleure des façons.
Dieu nous a délivré donc un message de guidance (7) et l’appareillage nécessaire pour nous montrer comment vivre en conformité avec Sa Parole, tout en préservant le respect de la dignité, de la liberté mais également de la sacralité de la personne humaine : 32. C'est pourquoi Nous avons prescrit pour les Enfants d'Israël que quiconque tuerait une personne non coupable d'un meurtre ou d'une corruption sur la terre, c'est comme s'il avait tué tous les hommes. Et quiconque lui fait don de la vie, c'est comme s'il faisait don de la vie à tous les hommes… (Sourate 5 Al Maidah).
(1) Se référer à notre chronique sur « La Foi et la Raison »
(2) Logique pour les agnostiques et les athées mais inconcevable pour l’homme de Foi.
(3) "L'homme est le terme unique d'où il faut partir et auquel il faut tout ramener." (Denis Diderot / 1713-1784 / Encyclopédie, article Encyclopédie)
(4) La primordialité du prolongement et du maintien de la vie quoi qu’il arrive est une notion bien ancrée aujourd’hui dans l’inconscient collectif des modernes
(5) Dans sa forme originelle, le libéralisme économique ou politique obéit strictement à la même logique, en donnant une totale liberté à l’être humain pour sublimer ses passions, au nom du fameux principe « il est interdit d’interdire », avec comme finalité le développement d’un marché unique et transcendant, soit disant destiné à pacifier les hommes en comblant leur désir matérialiste.
(6) « Il n’y a pas de différence entre un arabe et un non arabe ni entre un blanc et un noir si ce n’est par la piété. » (hadith prophétique rapporté par Ahmed dans el Musnad)
(7) Message unique qui n’a cessé d’être délivré par l’intermédiaire des prophètes depuis que l’homme peuple la Terre.
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