Interdiction de construction des Minarets en Suisse, agitation politico-médiatique autour du niqab en France…c’est désormais un fait établi, la communauté musulmane d’Europe est de plus en plus pointée du doigt. Trop voyante pour certains, voir trop pratiquante pour des politiciens, qui invoquent souvent le principe de laïcité pour justifier leur croisade contre les religions et le balayage de la sphère publique, de toute manifestation extérieur d’un quelconque signe religieux. Il ne reste alors plus le choix au croyant que d’intérioriser et de cacher sa pratique au regard des profanes et des laïques, dont l’hostilité et le mépris envers toute pratique religieuse est à la mesure de leur aveuglement et de leur misère spirituelle.
Or, comment des pays comme la France ou récemment la Suisse, se disant porteurs de valeurs universelles, peuvent-ils continuer à donner des leçons de tolérance et d’humanisme aux autres alors que leur propre nation est en train de dériver doucement mais surement vers les sentiers d’un dangereux populisme qui rappellent étrangement celui du début du siècle dernier dont on sait qu’elle fut le dénouement final.
De même, est-ce vraiment le principe même de la laïcité qui est incompatible avec les religions et plus particulièrement l’islam, ou serait-ce une manipulation, voir une fausse lecture de la laïcité qu’essaye de nous imposer une certaine élite bornée dont le fondamentalisme laïc ne semble plus avoir de limite idéologique ?
Aux origines de la laïcité en Occident
La laïcité telle qu’on la connaît dans sa forme actuelle en France, puise ses origines dans la « Déclaration universelle des droits de l’homme et du citoyen » de 1789, qui pose les premières bases de l’égalité entre tout les citoyens, et ce quelle que soit leur appartenance religieuse. L’Article 10 notamment, implique pour chaque citoyen la libre expression de sa religion, sans qu’il puisse être inquiété outre mesure : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, mêmes religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l'ordre public établi par la loi. ». (1)
Or cette reconnaissance de l’égalité de chaque citoyen, en l’absence de tout critère religieux, n’a été en faite qu’un camouflet destiné à masquer les visions anticléricales (soit antireligieuse) des promoteurs de ce concept de laïcité. En France, la laïcité est ainsi un dogme politique qui s’est bâti initialement comme courant d’opposition et alternative nécessaire, équilibrant les rapports de force et une certaine vision sociopolitique d’une Eglise devenue incomprise.
Dès lors, peux-on parler réellement de démocratie laïque quand cette dernière stigmatise une partie de ses citoyens et s’immisce autoritairement dans leur vie privée pour leur dicter jusqu’au mode vestimentaire à adopter ? (2)
Il est donc important de bien comprendre le concept réel de la laïcité tel qu’il fut retenu en France à l’origine, et qui se rapproche davantage de l’athéisme que de la neutralité et de l’égalité de statut de chaque citoyen des diverses confessions religieuses (3).
Comme plusieurs intellectuels occidentaux éclairés l’ont bien compris, la laïcité n’est pas un modèle unique devant être imposé au reste du monde par l’Occident considéré comme « plus avancé » (et donc plus à même d’imposer sa vision de la « civilisation »), mais il doit être adapté aux différentes cultures des pays dans laquelle la laïcité serait appliquée (4).
La laïcité dans l’islam
Dès son apparition, l’Islam reconnaît implicitement l’existence et la légitimité des autres religions monothéistes, et notamment de ses pratiquants, alors nommés sous le qualificatif de « gens du Livre » par le Coran, qui fait preuve d’une grande largesse à leurs égards : « Si Allah ne repoussait pas les gens les uns par les autres, les ermitages seraient démolis, ainsi que les églises, les synagogues et les mosquées où le nom d'Allah est beaucoup invoqué. » (Sourate 22 Verset 40) ou encore « Et tu trouveras certes que les plus disposés à aimer les croyants sont ceux qui disent : “Nous sommes chrétiens.” C'est qu'il y a parmi eux des prêtres et des moines, et qu'ils ne s'enflent pas d'orgueil. » (Sourate 5 Verset 82)
Il est également important de signaler que le prophète Muhammad (PBSL) a pendant toute sa vie témoigné d’une grande sympathie vis à vis des pratiquants des autres religions (si bien sûr ces derniers ne faisaient pas état d’hostilité face à l’Islam), comme le témoigne le récit suivant rapporté par Ibn Ishâq : « Lorsque la délégation de Najrân - des chrétiens - vint voir le Messager - paix et bénédictions sur lui - à Médine, elle le trouva dans sa mosquée après la prière du `asr. Lorsque vint l’heure de leur prière, ils s’apprêtèrent à prier dans la mosquée. Les gens voulurent les en empêcher mais le Messager - paix et bénédictions sur lui - leur ordonna de les laisser faire. Ils se tournèrent alors vers l’est et accomplirent leur prière. »
Les idolâtres et les athées, considérés de façon équivalente en Islam, étaient quand à eux davantage sujets à l’ignorance, du moment qu’ils ne troublaient pas l’ordre publique par leurs paroles. D’ailleurs, il est expressément recommandé par les sources coranique de les ignorer et de ne point leur chercher querelle si ces derniers ne le font pas les premiers, leur destin étant lié à Dieu qui est le seul à les juger et non à l’homme, de même que Dieu seul sait si ces derniers resteront oui ou non idolâtres jusqu’à leur mort ou deviendront à leur tour musulman : « Quiconque se guide, c'est pour Lui-même en effet qu'il se guide. Et quiconque s'égare..., alors dis : “Je ne suis que l'un des avertisseurs”. » (Sourate 27 Verset 92). Un hadith du prophète Muhammad (PBSL) est également formel sur ce sujet « Il n’y a aucun voile entre Dieu et la plainte de l’opprimé, fût-ce un mécréant. » (Rapporté par Ahmad dans son Musnad).
Une intégration culturelle exemplaire
L’une des qualités manifeste de l’Islam est également son intégration facile dans toutes les formes de cultures, en témoigne sa présence dans toutes les parties du Monde, que ce soit en Chine, en Inde, en Europe ou encore en Afrique et en Indonésie, sans parler bien sûr de la totalité des pays du Moyen-Orient.
Cette adéquation de l’Islam avec la culture de toutes ces régions diverses est explicable par le caractère universel du message coranique, qui ne veut pas s’adresser à une ethnie ou un seul peuple, comme c’est le cas dans d’autres religions, mais à l’univers entiers : « Voilà ceux qu'Allah a guidés : suis donc leur direction. Dis : "Je ne vous demande pas pour cela de salaire". Ce n'est qu'un rappel à l'intention de tout l'univers.» (Sourate 6 Verset 90)
Et ceci explique ainsi la diversité architecturale des mosquées existantes (comme en Chine où elles se rapprochent beaucoup de la pagode classique faite de bois (5)), mais aussi l’ajout de nombreux emprunts aux traditions locales assimilés à tort au message religieux (comme le port de la Burqa en Afghanistan).
Le concept de droits fondamentaux pour tous
La religion islamique a ceci de précurseur que bien que distinguant les personnes selon un point de vue spirituel (croyant, gens du livre, non-croyant), elles les placent également toutes sur le même pied d’égalité en matière de droit. Chaque homme, qu’il soit musulman ou non voit ainsi ses biens, sa vie et sa liberté toute aussi sacrée que celle d’un musulman (6). De même, les non-musulmans peuvent faire état de leurs propres règles de droits en matière de justice afin de régler un différent inhérent à leur communauté. L’enseignement, la pratique de la langue et le droit de la famille sont aussi laissés à la libre application de chaque communauté.
Les non-musulmans sont donc loin d’être considérés comme des citoyens de « seconde-zone », en témoigne l’acte symbolique du prophète Muhammad (PBSL), qui envoya en tant qu’ambassadeur auprès du Négus d’Abyssinie un chrétien pour y obtenir l’asile d’une partie des musulmans de la Mecque. Nombreux furent également les juifs et chrétiens qui s’établirent en tant que conseiller de sultans ou de vizirs musulmans.
A la lumière de tout ces faits et exemples, il est sans contexte établi que l’islam est par définition entièrement compatible avec le concept de laïcité, car son champ d’application est en réalité strictement borné à ses adeptes. L’Islam ne cherche donc ni à intervenir dans la vie des non-musulmans, ni à les contraindre à vivre selon les préceptes de l’Islam ou les convertir. Historiquement ce ne fut d’ailleurs jamais l’attitude adoptée par les musulmans, en témoigne l’existence encore de nos jours en terre d’islam de nombreuses communautés non musulmanes, dont le mode de vie ou les lieux de cultes n’ont jamais suscité de polémiques tel qu’elles s’articulent actuellement en Occident à propos de l’islam.
(1) - Dans le même sens, l’article 18 de la Déclaration Universelle des Droits de l’homme adoptée par l’assemblée générale de l’O.N.U. en 1948 stipule que : « toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction, seule ou en commun, tant en public qu’en privé, par l’enseignement, les pratiques, le culte et l’accomplissement des rites. »
(2) - Dans son ouvrage Autorité Spirituelle et Pouvoir Temporelle, René Guénon donne la définition suivante de la laïcité : « … au lieu de regarder l’ordre social tout entier comme dérivant de la religion, comme y étant suspendu en quelque sorte et ayant en elle son principe, ainsi qu’il en était dans la « Chrétienté » du moyen âge, et ainsi qu’il en est également dans l’Islam qui lui est fort comparable à cet égard, on ne veut aujourd’hui voir tout au plus dans la religion qu’un des éléments de l’ordre social, un élément parmi les autres et au même titre que les autres: c’est l’asservissement du spirituel au temporel, ou même l’absorption de celui-là dans celui-ci, en attendant la complète négation du spirituel qui en est l’aboutissement inévitable. » (p 70)
(3) Il n’est plus un secret pour personne par exemple que la franc-maçonnerie a joué un rôle important sous la troisième république dans l’imposition de la laïcité en France : - « La laïcité reste (...) au cœur de la pensée et de l'action des francs-maçons (...). L'ensemble des maçons, quelle que soit leur obédience, s'accordent pour condamner toute immixtion d'une religion dans la vie politique, économique, sociale, culturelle et en particulier dans le domaine de l'éducation... L'Église est une affaire privée, pas une affaire publique. » (P. Burnat et C. de Villeneuve, Les francs-maçons des années Mitterrand, p.63-64).
(4) - « La dimension de la laïcité peut exister dans les pays musulmans. Mais il faut savoir la présenter. Quand vous parlez de laïcité, le monde musulman ne pense pas à la France, mais à la Turquie, à la Syrie, qui ne sont pas des démocraties. Il faut expliquer au monde musulman les thèses que nous défendons en parlant de laïcité en Occident. Et rappeler que la démocratie a permis d’élaborer quatre principes forts : l’Etat de droit , la citoyenneté égalitaire, l’alternance politique, le pluralisme.
Je m’interdis de désigner le modèle qui convient à une société donnée. Je défends ces quatre principes, pas des modèles. Si je viens dire aux gens : la solution, c’est la laïcité, je sais comment 90 % des musulmans réagiront : ‘Voilà le discours typique de l’Occident, nous n’en voulons pas.’ Si je viens en disant, en tant que musulman : ‘Je suis pour la citoyenneté, l’égalité, le respect de la conscience, la liberté du culte pour tous les citoyens - chrétiens, musulmans, juifs’, et si je vous dis qu’à partir de vos références, ces principes sont réalisables, alors j’ai des chances d’être entendu. Mais répétons-le : la société musulmane n’acceptera pas de modèles imposés. Il faut lui permettre d’évoluer à son rythme, selon sa culture, sans tomber dans le discours globalisant qui voit dans l’avancée économique l’avenir forcément porteur d’une culture supérieure. » Tariq Ramadan - Propos recueillis par Albert Longchamp (Entretien paru dans Témoignage Chrétien numéro 2982)
(5) Voir notre dossier sur l’art en islam
(6)C’est d’ailleurs le sens de la première charte qu’a promulgué le prophète (PBSL) à son arrivée à Médine. Voir notre article sur l’arrivée à Médine du prophète (PBSL) >>
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