L’Etat hébreu s’aligne sur l’Arabie saoudite, les Emirats arabes unis, Bahreïn et l’Egypte qui ont bloqué chez eux la chaîne fondée en 1996 par le gouvernement du Qatar et qui compte près de 80 bureaux dans le monde. Depuis le 5 juin, les quatre Etats arabes ont rompu leurs relations diplomatiques avec le petit émirat, auquel ils reprochent de soutenir le terrorisme. Et surtout de se rapprocher de leur grand rival régional, l’Iran.
De son côté, Israël dénonce la manière dont Al-Jazira couvre le conflit israélo-palestinien. Encore le 26 juillet, le premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou, annonçait qu’il voulait expulser la chaîne qatarie, lui imputant d’attiser les tensions autour des lieux saints à Jérusalem. Il demandait même à son ministre des communications d’envisager une voie légale pour interdire à Al-Jazira d’émettre depuis d’Israël.
Aussi a-t-il salué l’initiative d’Ayoub Kara, député du Likoud (parti de la droite israélienne) nommé au poste de ministre des communications en mai. « Sur mes conseils, [M. Kara] a pris une série de mesures pratiques pour faire cesser les incitations d’Al-Jazira en Israël », s’est félicité M. Nétanyahou sur Twitter.
Une décision « antidémocratique »
Un communiqué émis par le ministère des communications précise les modalités de la fermeture d’Al-Jazira en Israël : arrêt des liaisons par câbles et satellitaires de la chaîne, annulation des accréditations de ses journalistes, fermeture des bureaux à Jérusalem supervisée par le ministère de la sécurité intérieure. Il est aussi prévu de limiter les capacités de transmission satellitaire d’Al-Jazira auprès de « la majorité des téléspectateurs de la communauté arabe israélienne » qui y ont accès, rapporte encore le communiqué.
Lundi 7 août, Al-Jazira a dénoncé une décision « antidémocratique », surtout de la part d’un pays qui prétend être « le seul Etat démocratique au Moyen-Orient ». Les journalistes du bureau de Jérusalem ne souhaitent pas s’exprimer pour le moment.
Amnesty International a également condamné cette initiative. « Il s’agit là d’une attaque éhontée contre la liberté d’information en Israël et dans les territoires palestiniens occupés », a déclaré Magdalena Mughrabi, vice-présidente de l’ONG pour la zone Moyen-Orient et Afrique.
Mise en œuvre compromise
Et pourtant, la mise en œuvre de la décision israélienne semble compromise. Même si Ayoub Kara prétend appliquer sa mesure à l’aide des autorités compétentes en la matière, rien n’indique que celles-ci s’exécuteront. « Au contraire », affirme Tehilla Altshuler, spécialiste des médias à l’Institut Israélien pour la démocratie.
D’abord parce qu’il revient à une institution publique indépendante, le Conseil de la télévision diffusée par câble et par satellite, de délivrer, de suspendre ou d’annuler les licences de diffusion accordées aux chaînes télévisuelles en Israël. Celui-ci ne s’est pas exprimé sur Al-Jazira.
Le bureau de presse du gouvernement israélien, qui délivre les accréditations aux journalistes, cessera de les accorder à ceux de la chaîne qatarie seulement si un risque est attribué par les services de sécurité israéliens, a déclaré son directeur, Nitzan Chen.
Antennes satellitaires privées
Ensuite, la plupart des téléspectateurs arabes israéliens qui suivent Al-Jazira passent par des antennes satellitaires privées – ils bénéficient ainsi d’un large choix de chaînes des pays arabes. Or, « Israël n’a aucun contrôle sur ces antennes-là », selon Tehilla Altshuler.
Enfin, l’amendement à la loi sur les communications (1982), proposé par Ayoub Kara pour garantir la sécurité du citoyen israélien, ne sera pas immédiat : il faudra attendre la session parlementaire d’hiver de la Knesset, fin octobre.
Ce « système de pouvoirs et de contre-pouvoirs » empêchera la décision du ministre des communications d’aboutir, pense Tehilla Altshuler : « Elle a surtout été prononcée par un ministre en quête d’autorité, et aussi de reconnaissance vis-à-vis de son premier ministre. » Lequel est soupçonné par la police israélienne de corruption, de fraude et d’abus de confiance dans au moins deux affaires. Et cherche à faire diversion à la moindre occasion.