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    Souhayl.

    CHRONIQUE : L’empire du gâchis  
    par Souhayl. A

    Dans la lancée de ce qui a été dit précédemment, il convient de s’arrêter un instant sur l’une des dérives majeures des civilisations contemporaines, qui aiment à se définir comme étant les plus abouties et progressistes de l’Histoire : la mise en place de la société de consommation et du gâchis, épicentre de l’ère libérale dans laquelle nous vivons ; société dont le mode d’organisation (Production, Consommation, Croissance), implique une nuisance à tous les égards pour le genre humain et animal, sans oublier les dégâts irréversibles qu’elle provoque sur la Nature.

    Genèse de la société de consommation :

    « Il était une fois un Homme qui vivait dans la Rareté. Après beaucoup d’aventures et un long voyage à travers la Science Economique, il rencontra la Société d’Abondance. Ils se marièrent et eurent beaucoup de besoins ».

    A remonter dans le temps pour essayer de comprendre la genèse du libéralisme, on s’aperçoit que l’une des raisons majeures pour que la société de consommation n’ait pas vu le jour dans les anciennes civilisations, qui eurent aussi les moyens de réaliser une telle transition, mais plutôt dans le monde moderne, est que ce dernier réuni à un moment donné de l’Histoire, les conditions nécessaires pour que les institutions politiques ainsi que la mentalité générale(1) inscrivent les normes marchandes et spécifiquement la consommation de masse au cœur même de la dynamique sociale et des préférences culturelles des citoyens. Une fois cette ligne directrice tracée et pour que le nouveau paradigme puisse s’installer durablement, il n’est pas difficile de deviner que la prochaine étape était l’abrogation et le démontage systématique de toutes les barrières qui feraient obstacle à la réalisation de la commercial society. Cette entreprise fut accomplie entre autre à partir du XVII siècle en Occident et notamment en Europe, par la philosophie moderne, qui fût une véritable machine de guerre dirigée contre l’Eglise et la tradition religieuse et dont la « science politique », n’est qu’une variante destinée à transcrire les nouvelles idées politiques dans les domaines législatif et social.

    Avant l’avènement de l’ère de consommation telle que nous la connaissons actuellement, il y a eut donc tout un processus historique, toujours à prendre en considération à l’heure du décryptage du parcours des sociétés modernes. A défaut de revenir indéfiniment sur les raisons de la fuite en avant de ses dernières (2), on dira donc sommairement, que les étapes déterminantes de ce parcours sont à résumer dans deux phénomènes majeurs que sont :

    - La déconsidération massive de la Religion (dont l’Eglise est en partie responsable par sa dégénérescence : affaire Galilée, crise d’indulgences…), qui aboutit à la généralisation de l’athéisme et à la négation de l’au-delà, vite remplacé par le culte de l’homme et du « progrès ».

    - L’émergence et le développement des outils nécessaires pour multiplier à l’infini la propagande moderne et installer durablement la nouvelle idéologie, que sont l’invention de l’Imprimerie (3), la généralisation de la Science Expérimentale et la consécration de l’Economie de Marché (4) comme religion d’Etat.

    Du dépêchement de toutes les forces intellectuelles et physiques sur ces deux derniers pôles, sortira une culture totalisante du besoin et de la nécessité, que l’homme moderne par son insatiabilité légendaire et sa poursuite sans fin de l’intérêt égoïste assoira désormais comme une philosophie de vie dans tous les domaines.

    Des politiques de « rareté » à la société de la « fausse abondance » :

    « A mesure que les gens se mettent docilement à l’école du besoin, seuls les très riches et les très démunis semblent capables de donner forme à leurs désirs à partir des satisfactions éprouvées. » (Ivan Illich)

    A partir de ce qui a été dit plus haut, il faut donc admettre que la transition vers la société de consommation ne s’est pas faite du jour au lendemain, qu’elle est la résultante d’un long processus de modernisation libérale qui a transformé en profondeur les sociétés occidentales en agissant sur la conscience collective des hommes pour l’accommoder aux rouages du nouvel ordre marchand. Un ordre qui s’est proclamé comme ennemi juré de toute valeur traditionnelle, qui s’est construit au détriment de la spiritualité et dont l’âme réside essentiellement dans la production et la logique propre dans la transformation de toute chose en besoin nécessaire pour être vendu et consommé.

    Cependant, on sait que la création des besoins dépend essentiellement de l’ambiance qui permet leur émergence (5) ainsi que de la disponibilité des richesses naturelles nécessaires à leur conception. Or au rythme frénétique sur lequel progresse la consommation mondiale, il est clair que les ressources disponibles ne peuvent satisfaire ad vitam eternam les besoins toujours croissants de la population mondiale. A ce stade donc, une question s’impose naturellement : si de l’augmentation des besoins non satisfaits naissent beaucoup de frustrations et toute une apologie de l’Objet, qu’adviendra-t’il du monde moderne --bâti exclusivement sur des valeurs matérielles-- une fois l’illusion d’abondance qui l’habite disparue avec l’épuisement des ressources naturelles ? Autrement dit ; si de la « rareté » on est passé à la société de la « fausse abondance » en à peine quelques siècles, combien de temps restera-t’il vue l’ampleur du pillage des réserves naturelles, pour reparcourir le chemin dans l’autre sens, et hâter un peu plus la chute d’une humanité dont l’avenir s’annonce déjà sombre et redouté par des futurs conflits violents autour des besoins élémentaires tels que l’eau ou les aliments de base (6) ?

    Ou encore, dans un système hyper narcissique et dans des temps de désolation spirituelle, ne faut-il pas y voir une bombe à retardement dont le compte à rebours s’accélère à mesure que le gaspillage généralisé continue et les richesses planétaires s’épuisent ?

    Une pagaille sans précédent :

    Si la consommation a toujours existée chez les anciennes civilisations, jamais elle n’eut une valeur élitiste ou elle fut élevée au rang de mythe comme elle l’est actuellement dans les sociétés modernes (7). La dilapidation spectaculaire des cultures agricoles, des réserves d’eau de la planète, ainsi que la consommation de biens matériels, d’images et de services sont devenus la morale absolue d’un nouveau type d’homme dont la quotidienneté est exclusivement dédiée au travail et à la consommation. Ce dernier dans un oubli total de soi même, a fait de la vie sur terre, non une épreuve unique à son accomplissement intérieur, mais le foyer idéal à la concrétisation de toute sorte de désirs et vocations hédonistes. C’est dans cette perspective que l’idéologie marchande se nourrit et s’engraisse à merveille par le sentimentalisme prosaïque et par toute sorte de libertinage (8). D’où aussi l’accord parfait et l’idylle fusionnelle entre une idéologie de jouissanceVivre sans contrainte et jouir sans entrave. » répète-t-on depuis Mai 68) propre à l’homo festivus qui dans l’idéal se voit consacrer tout son temps au loisir et à l’amusement (on parle alors d’une consommation du temps (9)), et la logique du libéralisme mondialisé qui dans sa fuite en avant doit en permanence réinventer les sujets de consommation et se trouver de nouvelles « niches de profit ».

    Gaspillage de masse pour se donner une ère de changement, pour combler son vide intérieur…et conduite de profit et culture de la passivité pour s’enfoncer un peu plus dans l’égocentrisme. Celui-là même qui a déculpabilisé l’homme moderne et l’encourage maintenant au grand jour au nom d’un certain réalisme culturel à « banaliser sa déshumanisation ».

    Pire encore, l’escalade consumériste ne s’arrête pas de nos jours aux frontières du besoin et de la nécessité mais s’apparente de plus en plus à une course aux gadgets, au prestige et au culte de la différence; comme si l’on pouvait trouver dans le « fait consommatoire » et ses rituels quotidiens, une quelconque signification transcendante, autre que la névrose mentale et l’absence de paix intérieure. A quoi peuvent bien servir le confort et les apparences si son intériorité est dépourvue de valeurs et souffre constamment de solitude et d’un déficit d’amour-propre ?

    Vers quelle solution alors ?

    « Ô vous qui croyez ! Ne vous interdisez pas les bonnes choses que Dieu a rendues licites pour vous, en évitant cependant tout excès, car Dieu n’aime pas les outranciers !. » Coran (5 : 87).

    Pour combattre toutes les addictions générées par l’idéologie libérale et par la culture du gâchis inhérente à la société de consommation, il ne suffit donc pas de s’autoproclamer « écolo » ou de faire le pari politique de la décroissance, mais d’entreprendre avant tout une réforme profonde des consciences pour faire barrage intellectuellement et rituellement à tout ce sur quoi se développe l’actuel empire de la matérialité, dont les désordres psychiques et coutumiers ne sont pas des moindres. Il faut aussi restituer à la religion ses vraies dimensions morales et culturelles pour qu’elle puisse réintroduire et dresser à nouveau dans nos sociétés moribondes un cadre de vie digne et décent dont les contours seront délimités non par les lois du Marché mais par des valeurs immuables (10). Ce qui facilitera grandement aussi la renaissance d’une spiritualité digne de ce mot. Non une spiritualité en tant qu’« adjuvant moral » ou « additif émotionnel », mais une spiritualité engagée, fondée sur le Salut et rythmée par la connaissance de Dieu. Si une telle entreprise parait chimérique et improbable de s’accomplir d’en haut, vu l’état de délabrement avancé des élites et des institutions qui gouvernent actuellement le monde, il demeure tout de même qu’à l’échelle de l’individu responsable, l’espoir reste entièrement intact du moment où la disposition au changement demeure réelle, la route qu’il faut emprunter pour y parvenir nette et éclairée et l’homme bien ferme dans ses convictions et actes.

    (1) Christopher Lash nous dit dans son essai sur « La culture du Narcisisme » que Le processus de socialisation, effectué par la famille et, et secondairement, par l’école et les autres institutions visant à la formation du caractère, modifie la nature humaine afin qu’elle se conforme aux normes sociales. Plus loin il ajoute : l’inconscience représente la modification de la nature par la culture, la pression de la civilisation sur l’instinct. Selon Joël Kovel : les désirs infantiles stimulés par la publicité, l’usurpation de l’autorité parentale par l’école et les grands moyens de communication, et la rationalisation de la vie intérieure s’accompagnant d’une fausse promesse d’accomplissement personnel, ont créer alors un nouveau type d’ « individu social ».
    (2) Se référer à nos précédentes chroniques et notamment « L’Occident et la religion » et « Les sentiers de l’égarement »
    (3) Plus exactement la typographie moderne dont l’usage plus tard dans le domaine de la presse sera décisif pour la diffusion de la propagande scientiste dans la société.
    (4) La première fut dépossédée de toute notion transcendante et la deuxième considérée comme un miraculeux instrument de paix et de liberté.
    (5) Lire également à ce sujet les analyses précieuses de P. Manent dans « Naissance de la politique moderne - Gallimard »
    (6) Dans son essai (Effondrement ) sur les civilisations disparues mystérieusement, Jared Diamond relève qu’un des motifs majeurs de leur disparition fut l’épuisement de leur richesses matérielles.
    (7) Le sociologue Gervasi nous dit a ce sujet que « Les choix ne sont pas faits au hasard, mais ils sont socialement contrôlés, et reflètent le modèle culturel au sein duquel ils sont effectués. On ne produit ni ne consomme n’importe quels biens : ils doivent avoir quelque signification au regard d’un système de valeurs. »
    (8) C’est là qu’intervient le corps de la femme moderne comme support publicitaire par excellence pour écouler les stocks marchands. Lire à ce sujet La stratégie du désir de Dichter
    (9) La consommation du temps libre peut se traduire aussi bien par une « lutte contre l’ennui » (Tuer le temps dit-on), ou par la « culture du loisir » (profiter au maximum et se la couler douce).
    (10) Voir également notre article sur « Les principes de la retenue en islam »

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