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    Mission civilisatrice, ingérence humanitaire

    « Le pays qui a proclamé les droits de l’homme, qui a contribué brillamment à l’avancement des sciences, qui a fait l’enseignement laïque, le pays qui, devant les nations, est le grand champion de la liberté (...) a la mission de répandre partout où il le peut les idées qui ont fait sa propre grandeur (...). Il faut nous considérer comme investis du mandat d’instruire, d’élever, d’émanciper, d’enrichir et de secourir les peuples qui ont besoin de notre collaboration (1). »

    Ces mots, écrits en 1931 par le radical Albert Bayet lors du congrès de la Ligue des droits de l’homme consacré à la colonisation, devraient être examinés avec attention par les acteurs contemporains de l’aide internationale. Si la formulation est désuète, ils seraient en effet bien en peine d’en désavouer le contenu, tant ce programme de modernisation sociale et politique reste actuel. Le même congrès de la Ligue des droits de l’homme condamnait la « conception impérialiste de la colonisation », ne justifiant celle-ci qu’à la condition qu’elle se donne les buts « humanitaires » résumés par Albert Bayet.

    Pour ce courant humaniste de la colonisation, celle-ci, telle une « charge d’aînesse », était source de bienfaisance et d’élévation des mœurs, une obligation de conscience qui se déduisait de l’évidente supériorité de la société colonisatrice sur les peuplades concernées. Quatre siècles auparavant, à l’époque de la conquête de l’Amérique, ce n’est pas au nom de la modernisation, mais de la christianisation, que le pouvoir conquérant s’exprimait, mais il ne manquait pas d’« insister sur les bienfaits apportés par les Espagnols aux contrées sauvages, et on trouve fréquemment ces énumérations : les Espagnols ont supprimé des pratiques barbares telles que les sacrifices humains, le cannibalisme, la polygamie, l’homosexualité, et ils ont apporté le christianisme, le costume européen, des animaux domestiques, des outils (2). » Bartolomé de Las Casas, prêtre dominicain défenseur des Indiens, qui a décrit dans le détail le désastre de la conquête, condamnait l’esclavage et les traitements cruels tout en défendant la colonisation, laquelle devait être l’œuvre non des soldats mais des religieux.

    Qu’il n’y ait pas de contradiction, dans les esprits de ce temps, entre aspirations humanitaires et projet colonial, cela se voit également dans l’invention de l’action humanitaire moderne, avec la fondation de la Croix-Rouge. L’époque de l’impérialisme colonial s’est en effet ouverte en France à la fin des années 1850, quand allait être adoptée la première convention de Genève (1864), dont la France de Napoléon III fut la première signataire et le soutien le plus ferme (il s’en fallut de peu que la convention ne soit signée à Paris). Le « droit de conquête » n’y était pas mis en question, pas plus d’ailleurs que le droit de faire la guerre, puisqu’il s’agissait seulement de fixer des limites à celle-ci.

    Gustave Moynier, le premier président de la Croix-Rouge, considérait cette institution comme « inspirée par la morale évangélique » et, à l’instar de la plupart de ses contemporains, voyait dans les peuples colonisés le contretype des nations civilisées : « La compassion, écrivait-il, est inconnue de telles tribus sauvages, qui pratiquent le cannibalisme (...). Leur langue même, dit-on, n’a pas de mots pour en rendre la pensée, tant celle-ci leur est étrangère. (...) Les peuples sauvages (...) font [la guerre] à outrance et cèdent sans arrière-pensée à leurs instincts brutaux, tandis que les nations civilisées, cherchant à l’humaniser, confessent par là même que tout ce qui s’y passe n’est pas licite (3). » Et dans L’Afrique explorée et civilisée, il ajoutait : « La race blanche doit dédommager la race noire (...) et la faire bénéficier des moyens dont dispose la civilisation moderne pour améliorer son sort. »

    Aucune organisation non gouvernementale (ONG) de solidarité ou de défense des droits de la personne ne signerait aujourd’hui de telles déclarations. C’est au contraire parmi les contempteurs du colonialisme que se recrutent majoritairement les membres des organisations d’entraide internationale. Mais, à voir les pratiques de ceux qui se perçoivent comme des agents de développement, l’esprit de la « mission civilisatrice » a survécu à la disparition de l’impérialisme colonial. On reprendra de Jean-Pierre Olivier de Sardan les deux catégories étroitement mêlées formant le socle de légitimation d’une grande partie de l’aide internationale, qu’il a décrites comme le « paradigme altruiste » et le « paradigme modernisateur » (4). Toujours à l’œuvre, quoique dans des proportions variables selon les uns et les autres et en fonction des données locales du marché de l’aide, elles organisent les discours et les pratiques de nombre d’acteurs, qu’ils appartiennent à la Banque mondiale, aux Nations unies ou aux ONG.

    Ainsi, par son intitulé même, l’aide au développement réinstitue, sous les auspices de la solidarité, les catégories hiérarchiques héritées de ce passé. Comment pourrait-il en être autrement, dès lors qu’est entérinée – serait-ce pour les plus louables raisons – une opposition du type « développé/sous-développé », déclinable par ailleurs dans de multiples variantes plus ou moins euphémisées ? Les critères économiques qui définissent les « pays les moins avancés » comme les critères anthropologiques qui donnent à voir des « peuples attardés » appartiennent les uns et les autres au vocabulaire du dominant. On y retrouve l’opposition entre société « traditionnelle » et société « moderne », recouvrant les dichotomies communauté/individu, routine/innovation, solidarité/concurrence, relations clientélistes/relations bureaucratiques chères à la pensée coloniale.

    Instituteurs de l’intime

    Des milliers de programmes d’aide, notamment en matière de techniques agricoles et de campagnes sanitaires, se fondent depuis des décennies sur la participation et la mobilisation d’introuvables « communautés » villageoises. Cet imaginaire exotique d’une société homogène, régie par la mise en commun et le partage, suscite chez les personnes concernées au mieux une indifférence polie, au pire un franc rejet, comme le rapporte une étude sur l’aide réalisée au Cambodge : « Que comprennent ces villageois quand des personnes extérieures arrivent et commencent à parler de développement communautaire ? Probablement ces étrangers commencent par expliquer (...) : “Nous voulons que vous coopériez. Nous voulons que vous travailliez ensemble.” A ces seuls mots, les gens sont écœurés et ouvrent de grands yeux : “Voulez-vous revenir à quelque chose qui ressemblerait à l’époque de Pol Pot ?” (5). »

    Chimère omniprésente, aussi bien dans les recommandations des experts de l’ONU que dans le discours des volontaires des ONG, le schéma « communauté » a une relation de parenté avec les représentations coloniales. Marqueur de l’opposition entre « eux » et « nous », entre les attardés et les avancés, il institue en effet des groupes indigènes de pauvres, définis par des carences et des risques spécifiques coïncidant précisément avec les objectifs des programmes d’aide. Construite par et pour ceux-ci, la « communauté » parle par définition le langage des « besoins », ces manques qui la mettent en danger et que les représentants des organismes d’aide vont combler, la sauvant de ses propres faiblesses.

    Les programmes dits de santé fournissent un champ d’application privilégié à cette envahissante sollicitude. Les organismes spécialisés de l’ONU, en particulier le Fonds des Nations unies pour l’enfance (Unicef) et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), et derrière eux nombre d’ONG, se sont donné pour objectif de répandre la croyance, profondément ancrée dans le monde occidental, qui veut que la plupart des pathologies rencontrées dans le tiers-monde soient la conséquence d’un manque de propreté. Ainsi l’épidémiologie anglo-saxonne, aujourd’hui largement dominante, distingue-t-elle les water-based diseases (maladies dues à l’eau) et les water-washed diseases (maladies soignées par l’eau). L’eau qui lave et purifie, l’eau qui souille et contamine, voilà ce qui forme l’essentiel d’un credo plus proche du catéchisme de la modernité que d’une vérité vérifiable. Il suffit, pour se convaincre de la dimension essentiellement liturgique de cette annonce, de se rappeler les prévisions d’épidémies foudroyantes formulées par des experts lors de chaque catastrophe naturelle, alors même qu’il n’en existe aucun exemple (6).

    En situation ordinaire, hors de ces contextes de bouleversement, l’essentiel des campagnes d’« éducation sanitaire » consiste plus prosaïquement à vanter les mérites du savon et des latrines, de l’eau bouillie et des ablutions régulières, ces mesures de propreté étant censées prévenir 90 % des maladies contagieuses. Indéfiniment répétée, cette promesse devient une évidence, permettant d’établir une relation causale directe entre un mauvais comportement et la maladie qui le sanctionne.

    Cette trompeuse simplification justifie, au nom de l’intérêt supérieur de la communauté, l’intrusion de volontaires d’ONG dans le domicile de familles où ils n’ont pas été conviés. Depuis les années 1980, qui virent un essor accéléré des ONG d’aide, enquêter sur les usages domestiques de l’eau et les pratiques de propreté afin de les réformer est devenu une pratique courante dans le tiers-monde. Les puritains anglais du XVIIe siècle plaçaient l’hygiénisation du peuple au principe de leur entreprise de restauration morale. L’hygiénisme du XIXe siècle a pris en France la forme de « pastorales de la misère », qui visaient à transformer les mœurs des plus démunis pour venir à bout d’une « malpropreté pourvoyeuse de vice » (7).

    L’enquête menée au Cambodge mentionnée plus haut montre que parmi les éducateurs, qui déplorent volontiers la lourdeur des traditions, bien peu sont conscients que seuls des sentiments de gêne et les règles de politesse et d’hospitalité les protègent contre des réactions brutales provoquées par de si grossières intrusions (8). Mus par la conviction d’apporter un savoir libérateur, ils ne perçoivent pas le caractère offensant de la situation qu’ils créent en se posant en instituteurs de l’intime. La confusion entre propre, sain, normal, d’une part, sale, malsain et pathologique, d’autre part, est la marque des campagnes d’évangélisation sanitaire, version actualisée de la mission civilisatrice de l’Europe. Ces peuples « sous-développés » doivent être conduits vers la maturité sociale par de nouveaux tuteurs, passeurs de bien-être et de progrès. Peuples éveillés à la conscience de leurs intérêts par des pasteurs instituant leur autorité sous le signe de la lutte contre le « péril fécal ».

    L’aide et la coopération internationales ne sont certes pas captives de cette division entre pasteurs et brebis, et leur rôle ne se borne pas à la dissémination d’une bonne parole. Au-delà de leurs opérations de secours, les ONG et l’ONU contribuent à produire de nouvelles régulations dans l’espace politique mondial et jouent désormais un rôle dans le débat public. Elles expriment un mouvement de fond que l’on peut comprendre comme un enrichissement de la démocratie dans un sens participatif, alors que ses formes traditionnelles électives semblent s’essouffler (9).

    Cette nouvelle légitimité et la popularité qui la soutient ne sont cependant pas sans conséquences. Elles furent à de nombreuses reprises, par exemple, utilisées par l’administration américaine pour présenter sous un jour plus favorable ses offensives consécutives aux attentats du 11-Septembre : « J’entends réellement m’assurer, disait M. Colin Powell en octobre 2001, que nous avons les meilleures relations avec les ONG, qui sont un tel multiplicateur de forces pour nous, une part si importante de notre équipe de combat. (...) Car [nous] sommes tous engagés vers le même but singulier, aider l’humanité, aider chaque homme et chaque femme dans le monde qui est dans le besoin, qui a faim (...), donner à tous la possibilité de rêver à un avenir qui sera plus radieux (10). »

    Pour opportuniste qu’elle soit, cette profession de foi est sans doute sincère, les ONG n’étant ni les propriétaires ni les dépositaires exclusives des valeurs qu’elles promeuvent. Mais c’est là que réside le problème. On ne compte plus les coalitions travaillant à la mise en œuvre de droits conçus comme autant de valeurs : droit à la santé, à l’éducation, au développement, droits de l’enfant, des femmes. Selon Hugo Slim, directeur d’études à l’Institute for Humanitarian Dialogue, ces valeurs traduisent ainsi « leur vision d’une société moralement juste » et elles doivent logiquement conduire au soutien de la coalition militaire qui les incarne (11). On ne saurait mieux dire. Entre l’intrusion dans des foyers familiaux au nom de la santé et l’ingérence armée au nom des valeurs supérieures de l’humanité, il y a certes une différence majeure, mais on peut y reconnaître aussi une unité de principe : l’une et l’autre se rejoignent en une position d’avant-garde œuvrant à l’émancipation d’autres peuples prisonniers de traditions ou de systèmes politiques archaïques, comme l’atteste le soutien apporté à l’invasion de l’Irak par les tenants français d’un « droit d’ingérence humanitaire ».

    (1) Cité par Charles-Robert Ageron, France coloniale ou parti colonial, PUF, Paris, 1978.
    (2) Tzvetan Todorov, La Conquête de l’Amérique. La question de l’autre, Seuil, Paris, 1982.
    (3) Cité par Alain Destexhe, L’Humanitaire impossible ou deux siècles d’ambiguïté, Armand Colin, Paris, 1993.
    (4) Jean-Pierre Olivier de Sardan, Anthropologie et développement. Essai en socio-anthropologie du changement social, Karthala, Paris, 1997.
    (5) Soisick Crochet, « Cet obscur objet du désir », dans Rony Brauman (dir.), Utopies sanitaires, Le Pommier/Médecins sans frontières, Paris, 2002.
    (6) Voir Claude de Ville de Goyet, « Stop propagating disasters myths », The Lancet, Londres, vol.356, août 2000.
    (7) Georges Vigarello, Le Propre et le Sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen Age, Seuil, Paris, 1987.
    (8) Soisick Crochet, op. cit.
    (9) NDLR. Lire David Sogge, « Une nécessaire réforme de l’aide internationale », Le Monde diplomatique, septembre 2004.
    (10) Conférence à Washington, 26 octobre 2001.
    (11) Libération, 26 décembre 2004.

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    Dernière mise à jour : 01/08/2014 - Nombre visiteurs : 8200584
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