En entreprise, le jeûne demeure une pratique discrète. Dans la majeure partie des cas, c’est bien le salarié qui continue de remplir les objectifs de l’entreprise et s’adapte à ses contraintes et non l’entreprise qui adapte ses conditions de travail.
Selon un sondage IFOP réalisé en avril 2008 auprès de 393 responsables des ressources humaines et de dirigeants d’entreprise, 26 % d’entre eux ont adapté leurs horaires de travail pour raisons religieuses (toutes religions confondues). A contrario, ils sont 74 % à déclarer ne jamais les avoir adaptés.
Du côté des salariés, même si des aménagements peuvent être trouvés, il s'agit bien souvent davantage d'arrangement entre collègues que d'une pratique managériale franche de la diversité de la part de la hiérarchie (lire Ramadan en entreprise : manager la diversité ).
Pour cette année 2009, du fait du commencement du jeûne en pleine période estivale, beaucoup ont la chance de pouvoir cumuler vacances et jeûne au soleil. D'autres, comme à leur habitude, prennent systématiquement des jours de congés pour pouvoir jeûner dans de meilleures conditions, leurs dates de congés fluctuant ainsi chaque année au gré des dates du mois lunaire de ramadan. Mais pour la majorité des jeûneurs français, ceux-ci continuent de travailler. Et pour eux, l'heure est plutôt à la discrétion. Témoignages.
Ali, 38 ans, agent de sécurité incendie dans une entreprise de sécurité
« J’ai des horaires variables : je peux travailler de 16 h à 23 h, de nuit, les week-ends, les jours fériés. Il n’est pas possible d’aménager ses horaires, on travaille en équipe, et s’il manque une personne, le site est en danger. Alors pour la rupture du jeûne, j’emporte des plats préparés par mon épouse et je réchauffe. Je peux toutefois faire toutes mes prières à l’heure sur mon lieu de travail. »
Sofi, 32 ans, médiatrice sociale pour une association
« Je n’ai jamais eu d’horaires aménagés. D’ailleurs, je n’ai jamais pensé à demander à les aménager, ce ne serait pas juste vis-à-vis des collègues. Je suis dans le social, je ne peux pas me permettre d’aménager mes horaires, j’accompagne des personnes en mairie, en préfecture et assiste à de multiples réunions : les rendez-vous ne s’arrêtent pas parce que l’on jeûne !
Et puis je n’ai pas envie d’attirer l’œil sur moi, cela passerait mal. Le jeûne au travail, ça passe vite, ça ne change rien. Cette année, la rupture est un peu tard, on a le temps de rentrer chez soi et de préparer le dîner. »
Christian, 42 ans, ingénieur de production dans une entreprise de connectique
« Il ne fait pas bon de parler de religion en entreprise. Cela ne me viendrait pas à l’esprit de partir plus tôt ou de dire que je jeûne. Je travaille dans une usine de production de 500 salariés, qui comprend une cinquantaine d’ingénieurs et beaucoup d’opérateurs. Parmi les ouvriers, nombreux sont les musulmans, ils travaillent en 3 × 8 et il me semble que rien n’est aménagé pour eux. Alors imaginez pour les cadres... Je continue de travailler pendant la pause déjeuner.
Il m’est arrivé parfois de ne pas rompre mon jeûne à l’heure car les conditions ne me le permettaient pas : je dois parfois travailler en combinaison dans une salle spéciale et rompre le jeûne signifierait que j’ôte cette combinaison et que je sorte de la salle. De plus, pour manger, la cantine est à l’extérieur, cela m’obligerait à sortir du bâtiment : pas possible, pas pratique, alors je romps simplement avec de l’eau et des dattes et ne mange qu’une fois rentré chez moi. »
Soumaya, 23 ans, auxiliaire médicale au SAMU
« J’ai des horaires variables : de 7 h à 14 h, de 14 h à 21 h et de 21 h à 7 h. Si je demandais un aménagement d’horaires, cela me serait refusé, tout au plus j’essaierais de m’organiser entre collègues. Heureusement, cette année, mon emploi du temps durant le Ramadan sera de 7 h à 14 h, j’ai le temps de rentrer et de me reposer.
Jeûner au travail est une question d’habitude : je jeûne et le travail est fait correctement. La seule difficulté est en fin de journée : il faut savoir rester patient et attentif à l’égard de chaque interlocuteur. »
Taki, 33 ans, chargée de médiation pour un office de HLM
« Chaque année, je divise le temps en deux. Une partie au travail et une partie en congés annuels. Parce que le ramadan est un mois de recueillement, et la vie au travail n’est pas compatible : le café du matin, on claque la bise, les conversations de bureau, le rattrapage des prières cumulées au retour du travail… Stop !
Je ressens vraiment le besoin d’une coupure, d’autant que je passe chaque soirée à la mosquée. Et le travail que je fais prend une énergie dingue. Cette année, durant le mois de ramadan, je pars pour la première fois quinze jours à La Mecque, pour effectuer la ‘umra. »
Lamine, 53 ans, gestionnaire de prestations au sein d’une mutuelle
« J’annonce d’emblée à mes collègues que le jeûne va commencer dans quelques jours. Beaucoup pensent que le Ramadan est une tradition, ils ne savent pas que c’est un pilier de l’islam. Ils sont étonnés qu’on offre des dattes, des plats aux voisins, même s’ils ne sont pas musulmans : « Et tes voisins acceptent tes plats ? » ? « Bien sûr ! »
Les collègues comprennent, ils évitent de sortir devant moi des sandwichs. Certains me demandent : « Tu n’as pas faim ? », « Tu ne peux pas prendre juste un verre d’eau ? » J’ai des collègues qui ne jeûnent pas mais ont des parents pratiquants et me demandent la date du début du mois de ramadan. D’autres me disent : « Tu fais la fête le soir ? » ? « Non, je ne fais pas la fête ! »
J’ai des horaires de bureau classique. Entre midi et 14 h, je me repose, il y a une petite salle où les salariés peuvent se réunir, alors j’y vais pour être au calme. Je n’ai jamais demandé à quitter plus tôt le travail. En revanche, quand je suis en carême, comme je me lève tôt, je viens plus tôt au travail : à 8 h 30 au lieu de 9 h 30. On fait le rendement qu’on doit fournir. Le jeûne ne signifie pas un manque de performance. »
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